Six réponses au Professeur Claude Hagège
Le linguiste renommé, Claude Hagège, professeur émérite au Collège de France, a publié son dernier livre, Dictionnaire amoureux des langues.
Le journal Le Monde a récemment publié un article écrit par le Professeur Hagège intitulé Identité nationale et langue française. Dans cet article, le professeur affirme que la langue française doit être au centre du débat sur l’identité nationale. Tous les régimes exaltent leurs langues. On doit reprocher à l’Etat, soutien Hagège, d’oublier le rôle de la langue dans la définition de l’identité nationale, et de permettre l’invasion de l’anglais et l’américanisation du français dans tous les domaines. Le Professeur Hagège trouve ce phénomène caricatural et comique. Il note un paradoxe : ce sont les immigrants qui valorisent la langue française, alors que des Français sont « fascinés par tout ce qui est américain. » Hagège insiste sur l’influence du français sur les cinq continents. Il note que les pays francophones comprennent mal que les Français n’aiment pas leur langue.
En outre, Hagège a assisté à l’émission de télévision hebdomadaire L’invité de la chaîne TV5Monde où il a également fait une critique de l’influence de l’anglais sur le français.
Nous avons choisi six lecteurs distingués de notre blog et les avons invités à exprimer leurs opinions en réponse à celle du Professeur Hagège.
Nous vous proposons de lire l’article et de regarder l’interview (grâce aux liens fournis ci-dessus), puis de lire les avis de nos invités.
Vos commentaires sont les bienvenus.
Danielle Bertrand (Historienne, France)
Certes chacun de nous est "enfant de sa langue " dont les mots et les structures modèlent et parfois figent nos catégories mentales. ...Oui, la plupart des mouvements indépendantistes ont mis la reconnaissance de la "langue nationale " en bonne place dans leurs revendications, (peut-être parce que c'était un moyen de faire, pour la lutte, l'union entre des conceptions politiques et des situations sociales différentes.)
Pourtant la langue française a aussi été un moyen de domination et je ne souhaite aucune" politique " qui renforce " le pouvoir inhérent à la langue " La langue , quelle qu'elle soit, est pour moi un instrument, non de "pouvoir " mais de communication .
Je dois dire aussi que l'expression " Français de souche " me choque , je la trouve discriminatoire , et je me sens proche de tous les "français de langue ", en ayant le désir de parler aussi la leur...... même si c'est l'Anglais .
Tahar Ben Jelloun *, écrivain marocain de langue française souligne les apports mutuels de ses deux langues, l’Arabe et le Français . Lui aussi récuse "cette histoire de soucherie", et considère la francophonie comme un "machin " dont l'Anglais se passe bien y a t il des institutions pour promouvoir l'anglophonie? Il donne de la langue une définition qui me plaît :
"Une langue est une maison aux portes et fenêtres sans cadres, ouvertes en permanence sur l'univers"
* Article paru dans "Le Monde Diplomatique " de Mai 2007
Nicole Dufresne (Professeure de langue française, UCLA, Etats-Unis)
Les Américains s’imaginent que les Français sont fiers de leur langue, mais qui donc est fier de parler français en France aujourd’hui ? Cela me crispe d’entendre les élites des grandes écoles truffer d’anglais leurs propos érudits, cela m’attriste d’entendre les Français moyens - de souche ou non, et qui ne parlent pas l’anglais – répéter les idioties prononcées dans les médias telles que l’avion a crashé, mon fils est drivé, ma copine est bien lookée…. Comment arrêter cette négligence, ce dédain envers la langue ? Le français a certes sa place dans le débat sur l’identité nationale, mais surtout il doit être au centre de la politique culturelle en France. Nous avons, ouvertes à tous, les journées du patrimoine, la nuit des musées, les nuits blanches, pourquoi pas tout simplement des journées de la langue française ?
Trista Selous (Traductrice, Angleterre)
Ce qui me frappe surtout dans l'article de Claude Hagège, c’est ce 'notre' de la première phrase, qui démarque les Français (mais non, peut-être, tous les francophones) des anglophones de n'importe quelle nationalité. Nous autres dont l'anglais est la langue dite maternelle ne possédons pas notre langue. Elle nous échappe dans tous les sens. On est trop nombreux et trop divers: la pluralité des nations anglophones mise à part, il y a toutes les langues anglaises de complaisance - en Inde, en Europe, dans les entreprises françaises... - qui ont leur propre vie, et il n'y a nulle part une Académie anglaise pour les rappeler régulièrement à l'ordre. Et c'est peut-être là la force de l'anglais. Personne ne le gouverne, tout le monde peut s'en servir à volonté - help yourselves! SUITE
Steve Kaufmann (Enseignant d’anglais, Canada)
Claude Hagège semble se congratuler de l'expansion historique de la langue française sur les cinq continents, expansion bénéfique et même civilisatrice à son avis. Par contre, il n'apprécie pas l'expansion en Europe, et ailleurs, de l'anglais, langue qu'il trouve uniquement laide. Dans tout ce qu'il dit, je ne vois que fierté linguistique, sentiment d'impuissance post-coloniale, et arrogance, face au monde actuel où l'influence de la France, et de la langue française, sont beaucoup diminuées. Vive la langue et la culture française! Vive la diversité linguistique! (A ce sujet voir mon blog et mon site pour l'apprentissage des langues, LingQ). Mais reconnaissons l'immense utilité de l'anglais comme langue internationale sans pareil. Et reconnaissons que la majorité des gens qui parlent cette langue l'aime bien.
Sarah Diligenti (Directrice pédagogique de l'Alliance française, Washington DC)
L'histoire de la francophonie devrait effectivement devenir matière obligatoire au collège et au lycée, dans le cadre des programmes officiels de littérature et d'histoire de l’Education Nationale. On pourrait même envisager une introduction à la francophonie dès les écoles élémentaires, par la lecture des fables et contes extraordinaires, riches linguistiquement et sémantiquement, que produisent les auteurs francophones, notamment les Haïtiens et les Africains. En revanche, je ne pense pas que l’introduction, dès les petites classes, de deux ou trois langues autres que l’anglais, soit en quoi que ce soit bénéficiaire à la survie de la langue française. SUITE
Marie-France Twining (Traductrice, Etats-Unis)
Le français écrit est souvent maltraité en France. Un simple mot de remerciement reçu récemment contenait autant de fautes d’accords que de lignes. Or l’auteur, née en France de souche française, avait 19 ans et était titulaire du baccalauréat.
Si j’en crois Claude Hagège, ces manquements aux règles de la langue française ne devraient pas être source d’inquiétude, c’est le propre d’une langue vivante.
En revanche, la vraie menace pour l’avenir du français est l’invasion de l’anglais au-delà de l’adoption de quelques termes. On ne peut pas ne pas remarquer à Paris des enseignes et slogans de magasins entièrement en anglais. Au niveau de l’éducation supérieure, beaucoup de cours dans les meilleures écoles de commerce, sont dorénavant dispensés entièrement en anglais. Le professeur Hagège a raison, il y a un certain désamour des Français de la métropole pour leur propre langue et une fascination de tout ce qui est américain.
Américaine de naissance, j'ai commencé à apprendre le français vers l'âge de 14 ans aux États-Unis, et donc me rends très bien compte de la beauté, difficulté, et technicité de cette langue.
Moi aussi je suis choquée par les fautes en français écrit, même par ceux qui sont très diplômés, cela fait souvent rire les gens lorsque je leur fais remarquer une faute. C'est dommage pour notre belle langue de Molière.
Rédigé par : Jacquie | 28/05/2010 à 10:29
Professeur de français pendant quarante ans à l'étranger, André Girod, fondateur des classes franco-américaines qui ont envoyé plus de 40 000 petits Français aux Etats-Unis écrit dans ses mémoires: " La classe franco-américaine" Publibook, Paris que la langue française , en tant que langue internationale, aura disparu en 2061. Elle ne sera plus qu'un dialecte parlée dans l'ouessant de l'Europe. Par ses études, constatations sur le terrain, le français est en déclin et en voie de disparition. Les jeunes à travers le monde préfère étudier l'anglais à 9 contre 1.Il a suivi de près cette dégringolade qu'il explique dans 2 livres: " La classe franco-américaine" et "Ilkya", Publibook, Paris
Rédigé par : Andre Girod | 21/07/2010 à 07:28