La critique et traductrice britannique, Trista Selous,
apporte son analyse sur le livre "The Invention of Hugo Cabret"
L’auteur et illustrateur américain, Brian Selznick, a accepté de contribuer a cet article concernant son livre, « The Invention of Hugo Cabret ».
Inspiré par le réalisateur français, George Méliès, « The Invention of Hugo Cabret » a été publié par Scholastic, la plus grande figure mondiale de l'édition jeunesse, et a remporté un vif succès au niveau international.
Il a obtenu le Prix Caldecott 2008 remis chaque année aux États-Unis par l’Association for Library Service to Children.
Par ailleurs, Danièle Laruelle, traductrice de la version française, L’Invention de Hugo Cabret (Éditions Bayard Jeunesse, 2008), a eu la gentillesse de traduire en français les paroles de l’auteur, et d’y ajouter quelques réflexions sur son propre rôle dans la traduction de l’œuvre.
Les contributions faites par ces deux linguistes distingués ont été recueillies par le Dr Trista Selous, traductrice anglaise agréée par l'UNESCO et membre de l'association des traducteurs du Royaume-Uni, une spécialiste du domaine cinématographique.
Dr. Trista Selous :
Vive l’hybridité !
Des albums jeunesse, du genre Où est Spot mon petit chien ? aux manga et autres BD, en passant par les livres illustrés pour adultes dont la vogue semble être passée depuis plus d’un siècle, il existe plusieurs façons bien établies de raconter une histoire à la fois en dessins et en mots. Et pourtant dessins et mots racontent de façon non seulement différente, mais à premier abord peu compatible. Les mots nous disent, et c’est à nous d’imaginer la scène que l’on percevrait dans la vie à travers les sens – de la voir par exemple, en l’« image »inant . Les dessins, eux, nous montrent des moments différents de l’histoire et nous devons comprendre la relation entre eux, souvent en faisant appel aux codes cinématographiques (champ contre-champ, plongée, zoom...). Donc là où le récit linguistique nous demande une mise en images (et sons, odeurs…), le récit en images nous exige une mise en récit.
Les genres qui combinent mots et images le font tous à leur façon, mais, de nos jours, le mariage est dominé en général par celles-ci, dans le sens où la lecture d’un album ou une BD se fait sur le mode « mise en récit ». Le texte est souvent limité au dialogue ou à un minimum descriptif : une phrase ou quelques mots dont la fonction strictement narrative est de lier, parfois d’expliquer les images dans le livre, plutôt que d’en créer dans la tête du lecteur (si le texte a aussi une fonction poétique, ce sera plutôt à travers le son).
À cette règle de la dominance de l’image et du mode « mise en récit », L’Invention de Hugo Cabret semble de prime abord faire figure d’exception. C’est une histoire racontée, comme on le sait, en images et en texte, en dessins et en prose, mais séparément. On commence par les images : une belle séquence à la fois panoramique et zoom, qui part de la lune pour arriver au visage du héros, suivie d’une série qui présente les lieux de l’histoire et le personnage du marchand de jouets. En tout 21 beaux dessins au crayon, dont le réalisme touché de rêve et le noir et blanc nuancé s’accordent à – sans toutefois les imiter – ceux du cinéma muet dont il sera aussi question dans l’histoire.
On comprend tout de suite, on est content, on entre dans le jeu, on entame la mise en récit et puis paf ! on tombe sur deux pages blanches noircie chacune au milieu d’un petit paragraphe de prose. Et allez hop ! Volte-face ! Maintenant ce sont les mots qui nous racontent. On voudrait se mettre au mode « mise en images », mais les images qu’on aimerait voir en lisant, celles du récit qu’on croyait suivre, dessinées au crayon par une main éloquente, sont inimaginables. On se trouve donc devant un choix : soit on oublie le récit en dessins l’espace de deux pages pour investir la prose de ses propres images, ce qui risque de fragmenter le récit, soit on essaye de supprimer l’imaginaire sollicité par la prose pour maintenir l’intégrité de l’histoire. Cette première fois, puisqu’on voit d’autres images pointer après les deux petits paragraphes, la deuxième option semble raisonnable et on lit presque en sautant, pour aller vite au dessin dont on a appris le langage. Mais après, les sections prose se font plus longues et le choix devient moins évident.
J’ai passé ma vie à lire et à écrire des mots, je suis de ceux qui n’approuvent jamais le film du livre, et j’avoue que j’ai trouvé difficile la soumission de l’imaginaire textuel qui me semble exigée par ce livre. Difficile même de m’en faire l’idée. J’ai lu deux fois L’Invention de Hugo Cabret, et la première fois, j’étais brinquebalée d’un mode à l’autre, toujours dans le provisoire, sans jamais vraiment m’investir. Mais la seconde fois, j’avais compris. Ce livre, il faut l’aborder comme un livre en images et s’enfoncer dans l’imaginaire du dessinateur. Celui-ci est aussi, bien sûr, l’écrivain des mots du texte, mais il a écrit ceux-ci, il me semble, toujours avec le dessin en tête. Les sections de texte sont courtes : la plus longue fait onze pages, la plupart moins de six. Selznick les utilise surtout pour le dialogue – qui ne se dessine évidemment pas, et qui sert ici surtout à faire avancer l’histoire – et pour décrire des actions. D’autres actions sont représentées en images et les raisons de ce choix de medium restent souvent mystérieuses. Cela dit, l’auteur sait se servir des deux : il y a une belle description du fonctionnement d’un homme mécanique qui utilise toute la capacité dynamique des mots, là ou des images feraient moins bien l’affaire, et une poursuite en dessins qui, à travers sa référence évidente au « car chase » du cinéma, exploite au maximum la même capacité dynamique de la mise en récit des images.
Le fait que ce récit est composé de deux éléments disparates, qu’il n’est contenu en entier ni par l’un ni par l’autre et qu’on doit tenir les deux toujours en tête, laisse aussi un écart, un espace mystère entre les deux, qui sollicite l’imagination du lecteur.
Et puis il y a un troisième élément qui vient brouiller de nouveau les choses en rehaussant la fiction de quelques touches plus documentaires. Au niveau textuel, c’est le personnage du cinéaste Georges Méliès, ici « fictionalisé », mais historique pour autant ; parmi les images ce sont les photogrammes de film, la plupart de Méliès, la photographie étonnante d’un accident de train, et certains dessins de Méliès, éléments qui ont tous une existence « réelle » évidente – une existence extra-diégétique dirait-on en cinéma – que le lecteur les connaisse déjà ou non. Moins évidents mais tout aussi intéressants sont les dessins qui font partie de la fiction mais qui représentent ou renvoient à des images de films du cinéma muet, tel le train qui terrifie le lecteur en arrivant sur Hugo tout comme ce train de 1895, qui arrivait en gare de La Ciotat en terrifiant le public. Pour certains c’est un moment de jeu avec les idées reçues (la naïveté du public peu rompu au cinéma), pour d’autres un moment de suspens dans le récit, mais dans les deux cas, ça marche.
Il y a donc bien des choses qui font plaisir dans ce livre hybride qui néanmoins fait un beau tout. Et surtout il y a le plaisir de s’enfoncer dans ces belles images au crayon, précises, détaillées, mais douces en même temps, dont la profondeur feutrée n’est pas sans rappeler un bon siège de cinéma.
Film
L'adaptation cinématographique de Hugo par Martin Scorsese sortira sur les écrans pour la Thanksgiving 2011.
Références supplémentaires
Brian Selznick - The Invention of Hugo Cabret book trailer
Children’s Books, New York Times, March 11, 2007
Reads Like a Book, Looks Like a Film, New York Times January 26, 2008
Cet article est le troisième d’une série de trois articles. Vous pouvez lire les première et deuxième parties en cliquant sur les liens suivants :
L'auteur américain, Brian Selznick, expose son œuvre pour les lecteurs du Mot Juste
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