Critique de Marie Tran, auteur-journaliste française
rédigée spécialement pour notre blog
Une couverture qui intrigue (une banane se terminant en queue de poisson), un titre qui éveille la curiosité, de bonnes critiques lues dans Le Monde, Books (1), l’ouvrage de David Bellos, Le Poisson et le Bananier, sous-titré Une histoire fabuleuse de la traduction, avait toutes les raisons de me séduire.
Même la quatrième de couverture laissait présager la promesse d’une agréable lecture, avec ses suites de questions (« Qu’est-ce qu’une « belle infidèle » ? Pourquoi l’adjectif « bleu » n’a-t-il pas d’équivalent en russe ? Pourquoi existe-t-il plusieurs traductions valables d’un même énoncé ?...). Autant d’interrogations censées attiser l’attention du lecteur et lui prouver combien le contenu du livre qu’il vient d’acquérir va être passionnant… « Un livre malin et savoureux pour tous les amoureux des langues et tous ceux qui aiment qu’on leur raconte des histoires » résume d’ailleurs l’éditeur français, Flammarion.
A plus de la moitié de ma lecture et alors que je dois rendre mon texte au blog Le mot Juste en anglais, je suis bien obligée cependant d’avouer une certaine lassitude. Je n’accroche pas, j’ai du mal à poursuivre ma lecture. Bien sûr, je ne m’attendais pas à tomber sur un recueil des bonnes blagues qui circulent dans le milieu des traducteurs (il doit à ce titre y en avoir de très bonnes…), mais j’ai clairement le sentiment que les promesses de cette belle couverture exotique et colorée, de ce titre énigmatique ne sont pas tenues.
Les chapitres se succèdent et je peine à distinguer une ligne directrice… J’ai du mal à comprendre où l’auteur souhaite m’emmener. A ce stade de ma déception, il est important de préciser que je ne suis ni traductrice, ni linguiste… mais une lectrice « grand public » et la cible de ce livre, aurais-je envie de dire, puisque Le Poisson et le Bananier n’est pas classé – en tout cas pas chez mon libraire – au rayon linguistique ou sciences humaines… D’ailleurs, rien que la couverture (encore elle) vient me rappeler que je n’ai pas affaire à une publication universitaire (on n’a jamais vu de bananes sur les couvertures des PUF !). Alors je trouve que tout cela traîne en longueur. Et même pour la signification de ce fameux titre accrocheur (2), je dois patienter deux bonnes centaines de pages pour apprendre que la « Banane » est celle de Saint Matthieu et illustre une substitution culturelle (la figue de l’Evangile de Saint Mathieu se transformant en banane dans le cas d’une traduction en malais) et le pourquoi des « poissons » – le poisson de Babel, sorte de téléphone de traduction imaginée par l’humoriste britannique Douglas Adam. Bref, tout ça me semble bien long et moi, la non-traductrice, je suis déçue alors que c’était pleine d’enthousiasme que je m’étais proposé de me plonger dans la lecture du Poisson et le bananier, après avoir réellement apprécié le travail de Henriette Walter (Honni soit qui mal y pense) découvert grâce au Mot Juste…
Qu’est-ce qui cloche dans Le Poisson et le Bananier ? Pourquoi n’ai-je pas accroché ? A la réflexion, très certainement pour une question de forme. Car le fond est là et précieux. A savoir une belle histoire de la traduction et un hommage de la part de son auteur qui, on le sent, est habité par sa profession. David Bellos n’est en effet pas n’importe qui. Professeur de littérature française et comparée à Princeton University, traducteur de George Perec (La vie mode d’emploi en version anglaise), David Bellos est un traducteur britannique reconnu et récompensé vivant aux Etats-Unis. Il est d’abord un traducteur du français vers l’anglais même s’il ne s’interdit pas dans son ouvrage de citer de nombreux exemples de traduction vers d’autres langues que l’anglais (comme ceux portant sur le Japonais et ses idéogrammes notamment, qui sont le fait de confrères-experts, explique David Bellos dans une interview sur France Inter(3)).
C’est un point qui peut-être participe également à ma confusion. Tout au long des chapitres, les langues se mélangent en effet. Chinois, russe, allemand, anglais, polonais, moldave… remarquez c’est assez normal. La traduction ne se limite pas à l’anglais… même si c’est celui-ci est dominant : « près de 80 % de l’ensemble des traductions, toutes direction confondues… sont effectuées à partir de l’anglais… 8 % seulement vers l’anglais », nous rappelle David Bellos (page 220).
C’est bien sûr énorme et bien sûr explicable. L’anglais est devenu par un « système d’élimination » d’autres langues, la langue survivante (page 25). Car le fond, le sujet est là, intéressant mais si engouffré dans un long tunnel de démonstrations, de digressions, d’exemples tirés aussi bien dans l’histoire du XXIème que du du XVIIIème siègle, des référence à Clément Marot comme à Ivor A. Richards (l’homme qui voulait créer une langue utopique de contact entre l’Est et l’Ouest…) que je me désespère d’y retrouver un fil conducteur tant j’ai l’impression que tout est mélangé, aussi bien les langues, les genres que les époques (ce qui pourtant n’est pas le cas, la poésie, le journalisme sont par exemple approchés dans des chapitres qui leur sont propres). Est-ce alors le fait que David Bellos, tout au long du livre, nous répète cette impossibilité de traduire du traducteur qui ajoute à mon découragement ?
Dès lors, j’ai le sentiment que c’est un peu comme s’il revenait au lecteur de remettre en place les idées de l’ouvrage, de les réorganiser.
Ainsi, une fois établie cette définition que la « traduction est le transfert du sens d’une langue dans une autre », et une fois admis que cette même définition n’est pas exactement non plus exacte - sachant que toute traduction doit prendre en compte les transpositions sonores et bien d’autres éléments extérieurs (des us et coutumes des pays aux constructions des mots). Bref, une fois décidé que la traduction idéale et parfaite n’existe pas, qu’on ne devrait pas utiliser le même mot « traduction » quand on traduit une brochure commerciale et quand on traduit un poème, qu’une traduction est aussi liée à un contexte de sens (« quand un titre de film doit être traduit, il doit l’être en un titre de film, non en une réponse à une question d’examen » (page 89)), je me pose toujours la question : où en suis-je exactement ? Qu’ai-je appris ?
Personnellement, en temps que lectrice-lambda, je me sens noyée dans trop d’informations. Je souligne et re-souligne des passages… mais dans mon esprit aucun lien de ne se fait. J’ai même du mal à comprendre quel est le parti pris de l’auteur : qu’est-ce qu’une bonne traduction au final, en tout cas la moins « pire » (car j’ai bien compris qu’il n’y a pas de traductions idéales). Alors j’en viens à penser que ce livre est peut-être trop ambitieux et trop érudit par rapport à la promesse de son titre, de ses accroches de chapitres qui cherchent à jouer la carte de l’humour et de la légèreté. J’ai le sentiment d’avoir été trompée sur la marchandise, par le biais d’une enveloppe trop marketée par l’éditeur par rapport à un contenu très sérieux.
J’aurais aimé notamment trouver davantage d’exemples (même s’ils sont nombreux). J’aurais aimé savoir comment des traducteurs ont négocié entre un « tu » ou un « vous » pour un « you » anglais. En fait un peu plus d’illustration concrète comme lorsque David Bellos décrypte le sens indiciel d’un passage de La Grande Evasion où un « Thank you » au lieu d’un « Merci » va totalement modifier la suite du scénario (page 80).
Je reviens du coup à mon premier sentiment : c’est l’enveloppe de l’ouvrage qui cloche, pas son contenu.
Dommage d’avoir choisi ce titre et cette couverture (mais aussi le découpage des chapitres) et de ne pas avoir réalisé une construction chronologique, peut-être moins originale, moins vendeuse, mais en tout cas à mes yeux plus efficace. Pourquoi ne pas avoir écrit une histoire de la traduction, de son évolution, de ses cas de conscience, de ses grandes batailles, ses limites aussi. Gênée et désolée d’en arriver à cette conclusion, je relis alors les critiques du livre, celle de l’excellente revue Books par exemple : « un grand traducteur se penche avec humour sur l’histoire de son art »… Nous ne devons pas avoir le même sens de l’humour.
(1) Le Monde du 1er février 2012, Books N°29 Février 2012
(2) En version original, Is that a Fish in your Ear ?
(3) France Inter, 25/01/2012 , L’humeur vagabonde.
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