Nicholas Cronk, professeur à l'université d'Oxford, éminent spécialiste de Voltaire, et rédacteur en chef de The Complete Works of Voltaire, a découvert 14 lettres inédites du grand homme, écrites pendant son exil de près de trois ans en Angleterre.
Le professeur Cronk, administrateur de la Fondation Voltaire de l'Université d'Oxford, a découvert ces lettres lors de recherches menées dans des archives de bibliothèques américaines. Paul Leclerc, ex-président de la New York Public Library lui-même spécialiste de Voltaire, a chargé M. Cronk d'examiner 11 lettres de Voltaire récemment acquises. Cronk en a trouvé deux autres à la Morgan Library and Museum et une à la Columbia University Library.
François-Marie Arouet, dit Voltaire |
Ces lettres éclairent d'un jour nouveau le séjour de Voltaire en Angleterre. Elles confirment que l'écrivain a bien reçu une généreuse pension de 200£ octroyée par le gouvernement de Robert Walpole – un fait longtemps controversé parmi les spécialistes – et montrent que Voltaire était remarquablement bien parvenu à gravir rapidement les échelons de la hiérarchie sociale et littéraire britannique. Arrivé en Angleterre sans un sou en 1726, il n'était alors qu'un poète et dramaturge qui possédait le don d'irriter la monarchie et l'aristocratie françaises par ses satires mordantes. Il ne parlait pas l'anglais et n'avait pour tout viatique qu'une lettre de recommandation de l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris. Au bout de six mois, il maîtrisait l'anglais et, en moins d'un an, il correspondait avec le souverain.
Pour le professeur Cronk : « Voltaire a passé en Angleterre deux années importantes dont on ne sait pas grand chose. À l'orée de la trentaine, alors qu'il est surtout connu comme poète, il débarque en Angleterre muni d'une recommandation de l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris. Pendant son séjour outre-Manche, Voltaire s'imprègne des idées des écrivains anglais et ramènera avec lui sur le continent l'empirisme qui inspirera les Lumières. Les lettres qui viennent d'être retrouvées sont donc d'autant plus intéressantes qu'elles montrent comment l'interaction étroite entre Voltaire et l'aristocratie britannique l'a imprégné de l'esprit des Lumières; elles nous aideront aussi à reconstituer la nature de ces interactions. »
Une lettre de Voltaire est adressée à Lord Bathurst, ce mécène qui accueillit souvent de grands penseurs anglais dans son manoir de Richings et notamment Alexander Pope qui y rédigea une bonne partie de sa traduction d'Homère.
Alexander Pope |
Dans cette lettre, Voltaire remercie Bathurst de « la liberté de votre demeure et des nombreuses facilités dont j'ai profité dans cette belle bibliothèque. » « C'est là une indication de la manière dont Voltaire se serait à ce point imprégné de Shakespeare, Newton, Locke, Swift, Pope et autres – à la fois en lisant leurs œuvres dans la bibliothèque de Richings, mais peut-être même en rencontrant des penseurs anglais contemporains, » d'expliquer le professeur Cronk.
Peu après l'arrivée de Voltaire en Angleterre, en juin 1727, le roi George 1er décède et son fils monte sur le trône sous le nom de George II. C'est une chance pour Voltaire, car l'épouse du nouveau roi, la reine Caroline, grande protectrice des arts, a un faible pour la poésie. Saisissant au vol cette occasion de promotion sociale, Voltaire publie une traduction anglaise de la Henriade, son poème épique à la gloire du roi de France Henri IV, qu'il dédie à la reine Caroline. L'œuvre est un succès et vaut à son auteur des appuis dans le haute société britannique.
La reine Caroline était une alliée politique de Robert Walpole et il se peut qu'elle ait joué un rôle dans l'octroi à Voltaire de cette pension de 200£. L'une des plus intéressantes des lettres récemment découvertes a été adressée par Voltaire au Trésor britannique pour confirmer la réception de cet argent. Il la signe « Francis Voltaire » , autographe unique en son genre, combinant son premier prénom anglicisé et son célèbre pseudonyme.
Pendant son séjour en Angleterre, Voltaire s'initie aux idées qu'il défendra pendant le reste de sa vie, notamment aux notions de liberté d'expression, de tolérance religieuse et de monarchie constitutionnelle. Rentré en France en 1729, il proclamera ces idéaux dans ses Letters Concerning the English Nation, une série d'essais d'abord publiés en anglais en 1733, puis en français l'année suivante [1] . Cette publication française fit scandale, valut à l'éditeur d'être embastillé, et obligea encore Voltaire à s'enfuir.
Scannées et numérisées, ces 14 lettres ont été chargées sur le site Web Electronic Enlightenment de la Bodleian Library d'Oxford, une mine de correspondances en provenance de plus de 6.000 écrivains, philosophes et dirigeants politiques des 17e et 18e siècles. En collaboration avec la Voltaire Foundation d'Oxford, Electronic Enlightenment s'emploie à numériser la collection complète et définitive des écrits de Voltaire.
Il faut malheureusement être abonné mais, si vous avez accès à une connexion institutionnelle, vous pouvez visionner les lettres de Voltaire.
L’article ci-dessus s'inspire d'un texte qui a paru, en anglais, dans The History Blog. Nous le publions avec l'obligeante permission de notre confrère.
Note historique.
Il arrive que la linguistique s'invite dans le jeu politique. Ainsi, lorsqu'en vertu de l'Acte d'établissement de 1701, George, prince-électeur de Hanovre, succède à la reine Anne Stuart et devient George 1er d'Angleterre, il ne parle pas l'anglais et ne s'intéresse guère à son nouveau royaume. Il lui faut donc un intermédiaire pour gérer l'Angleterre. C'est ainsi que naît la fonction de Premier Ministre, d'abord exercée par Stanhope, puis plus longuement par Robert Walpole. C'est une étape décisive dans la mise en place de la monarchie constitutionnelle pour laquelle Voltaire éprouvera tant d'admiration. Comme nous l'avons vu dans l'article consacré à Rousseau, les trois années passées en Angleterre transformeront Voltaire poète en penseur politique. Mais, là encore, le contraste est total entre le deux écrivains. Si Rousseau a soudainement la révélation de sa vocation de penseur politique en 1749, lors de « l'illumination de Vincennes », chez Voltaire, le mûrissement est raisonné et progressif, nourri des lectures qu'il fait à Richings et des conversations qu'il a avec les intellectuels anglais. Primat du sentiment et de l'affectivité chez l'un, aboutissement du raisonnement et de l'analyse du vécu chez l'autre. Vraiment rien ne les rapprochait.
[1] Sous le titre: Lettres philosophiques ou Lettres écrites de Londres sur les Anglais et autres sujets (1734).
Lecture supplémentaire :
Voltaire letters brought to light
The Times, 21 January 2012
Jean L.
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