« The Daily Beast » est un site Web américain d'actualité et d'opinion. Il tire son nom d'un journal fictif de « Scoop », le roman de l'écrivain britannique Evelyn Waugh. Dans sa livraison du 9 mars dernier, le journaliste David Sessions, sous le titre : "Why Don't the French Speak English?", déplore la piètre connaissance que différentes personnalités françaises ont de la langue anglaise.
Selon lui, chacun sait que Nicolas Sarkozy a raté son diplôme de Sciences Po à cause de son faible niveau d'anglais.
L'auteur poursuit en citant un article d'atlantico.fr du 23 novembre 2012, rédigé par Pascal-Emmanuel Gobry et intitulé : « Friendly : Pourquoi les Français sont-ils mauvais en langues étrangères? »
« La nullité des Français en langues étrangères—et particulièrement en anglais, lingua franca du monde moderne—est avérée. La France se situe au 25ème rang du classement du TOEFL, test international d'anglais. Le problème va du garçon de café tentant inintelligiblement de communiquer avec des touristes médusés jusque, comme on l'a vu, aux niveaux les plus élevés de la société française. L'incompétence linguistique des responsables français est une blague récurrente des sommets européens tout comme des grandes entreprises internationales. »
Cela contredit mon impression personnelle. Certes, je ne converse guère avec les garçons de café parisiens, pas plus que je ne communique avec les « niveaux les plus élevés de la société française ». Mais il est tout aussi vrai que si les dizaines de Français et de Françaises avec lesquels je corresponds à propos de ce blog ne constituent probablement pas un échantillon représentatif, ils n'en possèdent pas moins une maîtrise véritablement surprenante de la langue anglaise. Je ne connais aucun Américain qui, sans avoir fait ses études dans un pays francophone, puisse atteindre un tel niveau en français écrit ou parlé. En fait, on connaît le dicton : « Quelqu'un qui connaît trois langues est trilingue, quelqu'un qui connaît deux langues est bilingue et quelqu'un qui ne connaît qu'une seule langue est américain. » [Pour me dédouaner aux yeux de nos lecteurs, je tiens à préciser que je ne suis pas né aux États-Unis, mais que je suis devenu américain par naturalisation; et que, de toute façon, ce que j'écris en français dans ce blog est examiné à la loupe par mon ami et co-blogueur Jean Leclercq qui élimine les fautes de syntaxe, les entorses à la grammaire, les faux amis et autres atrocités linguistiques. Fort d'un tel soutien linguistique, je choisis souvent, ex abundante cautela, de demander à Jean de traduire ma prose en français afin qu'il soit la victime de toute critique éventuelle de nos lecteurs.]
« Voilà, ma lettre amicale l'a tout à fait enchanté »
Certes, « friendly » n'est pas une formule de politesse acceptable à la fin d'une lettre. Et cela, parce que grammaticalement « friendly » est un adjectif, à la différence de la plupart des mots anglais se terminant par « ly » qui sont des adverbes. Les formules acceptables sont : Sincerely, Cordially, Yours faithfully, Yours truly (Sans justification logique, « faithfully » et « truly » ne peuvent s'employer seuls).
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Dans ces conditions, peut-on reprocher au Président Hollande de conclure sa lettre au Président Obama par « friendly » ? Je suis sûr que François Hollande sait que les adjectifs, même ceux qui se terminent par « ly », nécessitent un nom qui les qualifient, mais son erreur a été de ne pas savoir que, par exception à la règle, « friendly » est un adjectif. Pour ma part, je trouve admirable que le Président français connaisse les règles de la grammaire anglaise et, en particulier, qu'il sache que le suffixe « ly » peut s'ajouter à de nombreux adjectifs pour obtenir la forme adverbiale correspondante: suspicious(ly), inadvertent(ly), beautiful(ly). Mais, peut-on exiger de lui qu'il connaisse aussi les exceptions ?
Naguère avocat, j'irai plus loin encore dans la justification de cette confusion, en précisant que le mot likely, utilisé comme adverbe aux États-Unis, est employé comme adjectif au Royaume-Uni. Ainsi, au pays de Charles Dickens, on dira . « The weather is likely to be bad tomorrow » tandis que, chez Mark Twain, on dira : « It will likely rain tomorrow. » Dès lors, il est permis d'imaginer que, dans une lettre adressée au Président Obama, la reine d'Angleterre (dont on peut penser qu'elle emploie le Queen's English) [1], écrive : « It is likely that I will be free to dine with you during your next visit to London." Ce qui, aux yeux du Président ne serait ni mieux ni pire que la formule de politesse (qui se voulait amicale) concluant la lettre de félicitations qu'il a reçue de François Hollande.
Dans ces clips vidéo, nous exposons quelques-unes des difficultés et dangers liés à l'apprentissage de l'anglais :
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[1] L'usage correct de l'anglais s'appelle Queen's English (ou King's English, quand c'est un roi qui règne sur le Royaume-Uni). Wikipedia donne comme synonymes de Queen's (or King's) English, les expressions: received prononciation, Oxford English et BBC English. Mais, pour autant que je sache, l'expression Queen's English ne se réfère pas uniquement à la prononciation, mais à l'usage général de l'anglais dans tous ses aspects. En outre, l'Université d'Oxford est devenue beaucoup moins élitiste que par le passé, et la British Broadcasting Corporation, l'organe public de production et de diffusion de programmes de radio-télévision, emploie d'ores et déjà des speakers et présentateurs qui parlent avec différents accents qui trahissent leur origine locale en Grande-Bretagne ou même celle de certains pays comme l'Inde et l'Australie. À l'heure de la « mondialisation » de la langue anglaise, il semble que la prononciation de la Reine (et d'autres membres de la famille royale qui parlent comme s'ils avaient une pomme de terre dans la bouche) est plus hors du commun que jamais en regard de l'anglais parlé par ses sujets.
Jonathan G. Traduction Jean L.
Note du traducteur. Toute prise de position politique mise à part, le tort de certaines personnalités françaises n'est pas tant d'être nulles en anglais que de vouloir « faire les malignes », au risque de malmener la langue de Dickens. En effet, sauf à s'appeler Dominique de Villepin ou Alain Juppé (pour l'anglais), Manuel Valls (pour l'espagnol) ou Daniel Cohn-Bendit (pour l'allemand), mieux vaudrait s'en remettre à un(e) interprète. C'était l'usage suivi par des personnalités pourtant infiniment plus instruites (et certainement plus à l'aise en anglais) comme les présidents de Gaulle et Mitterrand.
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