Catherine au "bureau de la traductrice".
Parmi ses beaux livres, un atlas des langues
LMJ : Vous êtes française, mais vous habitez au Mexique, plus précisément à Guadalajara, ce nom si difficile à prononcer pour les francophones ! Comment cela se fait-il ? Racontez-nous votre parcours.
Catherine : Guadalajara vient de l'arabe Wad-al-Hidjara, signifiant « le fleuve qui coule entre les pierres» ainsi nommée en hommage à la ville du conquérant de l'ouest du Mexique, Nuño Beltrán de Guzmán, originaire de Guadalajara, en Espagne.
Je suis née à Tours, dans l'ouest de la France, où j'ai fait mes études secondaires au lycée Balzac. En fait, je suis une littéraire contrariée qui a étudié les langues et le commerce international. Je devais faire Hypokhâgne et Khâgne [1] après le baccalauréat mais je suis partie vivre à San Francisco pendant un an. Ce fut une belle aventure qui m'a ouvert les yeux sur le pays où je vivais et, plus généralement, sur le voyage. J'ai traversé deux fois les États-Unis dans un bus hippie qui s'appelait The Green Tortoise. Nous campions dans les parcs, faisions la cuisine en commun et certains d'entre nous se baignaient nus dans les cascades que nous trouvions en chemin. Une belle expérience qui finalement se voulait un hommage aux années 70, à la Beat generation, voire peut-être aux romans de Jack Kerouac sans la partie érotique…et encore ! En tout cas, cela m'a donné le goût des voyages et de la diversité culturelle, celui de passer les frontières et de voir comment l'identité culturelle façonne la pensée de l'individu. Je voyage seule depuis l'âge de 16 ans et c'est certainement ce qui m'a poussé à aimer les langues étrangères.
LMJ: Comment cultivez-vous ensuite ce goût des langues et quel cursus entreprenez-vous ?
Catherine : De retour des États-Unis, j'ai entamé des études de langues étrangères appliquées au commerce international (L.E.A) menant à une maîtrise obtenue au Mans et couronnées par un DESS de négociation commerciale internationale à la Sorbonne Nouvelle, Paris III (devenu mastère avec la nouvelle nomenclature européenne). Ces diplômes en poche, je me suis lancée dans la vie professionnelle en travaillant comme trader chez Elf France, puis comme responsable de projets industriels financés par la Commission européenne, pour un cabinet parisien de consultants. Je me suis ensuite orientée vers le journalisme parce qu'on m'y a invitée. J'ai travaillé pendant pratiquement deux ans dans la presse spécialisée en communication, puis j'ai fait un stage de journalisme au CFPJ (Centre de formation et de perfectionnement des journalistes) à Paris tout en étant pigiste pour différents magazines.
LMJ: Nous ne sommes pas encore au Mexique. Comment vous vient l'idée de vous y rendre et comment faites-vous connaissance avec ce pays ? La Californie en fut-elle la porte d'entrée ?
Catherine : La Californie n'a rien à voir avec ma décision de partir au Mexique, même si la communauté mexicaine y est très présente. Mes séjours ont correspondu à des étapes très précises de ma vie, j'avais 20 ans en Californie et je découvrais le monde, alors que je suis partie au Mexique à 31 ans, en emportant avec moi un « petit bout » de vie professionnelle et personnelle. Je travaillais à Paris quand le directeur des études d'une université mexicaine m'a proposé un travail à Guadalajara. J'ai accepté et suis partie sans hésiter car j'ai toujours été séduite par ce continent lumineux aux variantes linguistiques. J'ai donc connu le rouge de la terre mexicaine, ses multiples verts, l'ombre et le soleil. J'ai découvert « cette Amérique latine si profondément porteuse d'humanité », comme le dit si bien Philippe Ollé-Laprune. Fascinée par cette terre bigarrée à la fois violente et magnifique, j'ai décidé de m'y installer pour y exercer le métier d'enseignante en commerce international dans une importante université jésuite de l'état de Jalisco où je réside.
LMJ: Où avez-vous appris l'espagnol ?
J'ai appris l'espagnol dans le secondaire, c'était l'une des trois langues vivantes que j'avais présentées au baccalauréat. Ensuite j'ai poursuivi l'étude de l'espagnol à l'université où j'ai reçu une bourse Erasmus pour aller étudier et travailler en Galice, dans le nord de l'Espagne. J'y suis restée six mois et ce furent six mois magnifiques, je fus témoin de la renaissance d'une société qui sortait du Franquisme. C'était l'époque de la Movida [2], d'Almodovar, de la joie, des excès et de la liberté. La société civile espagnole sortait d'un mauvais rêve et elle exultait…
LMJ: Mais, comment êtes-vous venue à la traduction ?
Catherine : En 2005, une chercheuse mexicaine en anthropologie sociale me propose de traduire pour elle de l'anglais et de l'espagnol vers le français. Ces premiers travaux me passionnent et me rapprochent un peu de l'écriture. La traduction a toujours été pour moi un pont entre deux grands centres d'intérêt : les langues et l'écriture. Je passe un certificat de traduction par Internet (WLS, Dublin) et décide de m'installer comme traductrice indépendante en 2007. Depuis, je me suis spécialisée dans un certain nombre de sujets : coopération internationale, environnement et questions de genre.
LMJ : Pourquoi justement les questions de genre ?
Catherine : Les rapports de genre, c'est vous et moi. Ce sont des droits humains fondamentaux qu'il faut étudier avec attention pour arriver à construire des sociétés plus justes et dénuées de préjugés. Le thème m'a toujours intéressée parce que je suis une femme et parce que je viens d'une famille assez machiste. J'ai donc voulu apporter ma pierre à la construction d'un monde un peu plus équitable, en proposant des traductions sur le sujet. Dans ce domaine, ma première traduction a été publiée chez l'Harmattan en 2012.
Cela m'a procuré à la fois un immense plaisir et une sorte de soulagement. J'ai senti que j'étais devenue traductrice à part entière, après de longues années de promotion acharnée de mes services. Un pont était enfin jeté entre les rives.
LMJ : Parlez-nous aussi de vos autres domaines de prédilection, l'écologie et la coopération internationale. Cela vous mobilise-t-il autant que les questions de genre ?
Catherine : J'aime traduire les thèmes qui m'intéressent et je crois qu'on traduit bien ce qui nous passionne. J'ai un rapport à l'environnement et à l'écologie à la fois douloureux et passionné. Je supporte mal de voir ce qu'on fait de notre planète, comme si c'était un vulgaire fonds de commerce…je crois qu'il est de notre devoir de contribuer d'une façon ou d'une autre à sa protection. Moi, j'ai choisi la traduction de l'information parce que l'information, c'est le pouvoir. Le pouvoir sur les gens et sur les décideurs.
Quant à la coopération internationale, elle a trait à la géopolitique. Derrière la géopolitique, il y a des conflits d'intérêt qui sont souvent liés à des modes de pensée différents. Des modes de communication qui se chevauchent, mais ne se rencontrent pas. Cela touche aussi la diversité culturelle de la première question.
LMJ : Une question que nous posons souvent : aimez-vous traduire et n'avez-vous jamais regretté de vous être engagée dans cette voie ?
Catherine : Le chemin parcouru a été long et sinueux mais je ne regrette rien. La traduction est une activité intense et noble. Nous sommes des passeurs entre les cultures.
LMJ : Comment conciliez-vous traduction et enseignement ? Faites-vous une place à la traduction dans l'enseignement du commerce international ?
Catherine : La traductionest mon activité principale et je traduis surtout de l'anglais vers le français. Je vais à l'université deux fois par semaine pour y enseigner la négociation commerciale internationale et ce rythme me convient bien. Je crois qu'il est important de partager son expérience avec d'autres générations. Gérer un bureau de traduction est complexe et je pense qu'il est intéressant de parler de mes erreurs et de mes victoires dans ce domaine. Je ponctue mon enseignement de cas qui ont à voir avec la négociation de mes tarifs par exemple, et avec ce que j'ai pu vivre dans mes autres métiers.
LMJ : En deux mots, quelle place la traduction occupe-t-elle au Mexique ?
Catherine : La traduction n'a pas encore gagné ses lettres de noblesse au Mexique. On ne valorise pas assez le travail du traducteur et il est souvent très mal payé. Je travaille très peu pour des clients mexicains parce qu'ils m'offrent des tarifs dérisoires ou parce qu'ils ne payent jamais. Enfin, je crois que le Mexique n'est pas une culture du livre ; très peu de gens lisent et encore moins lisent beaucoup. En outre, les grands auteurs étrangers qui sont lus au Mexique sont traduits par des traducteurs espagnols.
LMJ : La traduction étant une voie d'accès à l'écriture, votre activité de traductrice au Mexique vous a-t-elle permis de mieux connaître les lettres mexicaines contemporaines ? Parlez-nous des jeunes écrivains mexicains.
Le lectorat européen avisé se tourne de plus en plus vers l'Amérique latine et j'en suis ravie! Il y a au Mexique une nouvelle génération d'auteurs brillants, même s'il n'est pas facile de reprendre le flambeau après Octavio Paz ou Carlos Fuentes… je pense en particulier à Paco Ignacio Taibo II qui a réinventé le personnage du détective dans ses romans policiers ou à Jorge Volpi qui parle d'un Mexique en proie à ses propres démons : la violence et ses différents visages, l'impunité du politique, l'univers de la drogue. Il y aussi une génération à ne pas perdre de vue que l'on appelle la Génération Z, dont font partie des jeunes écrivains comme Francisco G. Haghenbeck
ou Bernardo Fernández Bef qui revendiquent le droit de rompre les schémas littéraires de leurs prédécesseurs et se rapprochent davantage de la science-fiction, du récit policier et du livre de terreur ; ils se reconnaissent davantage dans les œuvres de Stephen King, des frères Cohen ou de Frank Miller. Il existe bien évidemment d'autres auteurs [3], d'autres styles et genres qui font du Mexique un magnifique vivier de narrateurs. Cependant, ces auteurs qui appartiennent à différents mouvements littéraires, restent avant tout les enfants de la mondialisation, de la crise, des médias sociaux, d'un Mexique aux soubresauts incessants. C'est une génération qui n'est pas dupe et qui relate un pays à la fois violent et poétique.
LMJ : Enfin, pour conclure, quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui veulent s'orienter vers la traduction ?
Catherine : Soyez humbles, curieux et cultivez votre talent comme on cultive son potager, avec amour. Aimez votre langue maternelle avec passion.
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[1] Terme familier désignant la classe de Lettres supérieures, première année du cycle préparatoire au concours d'entrée à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, la Khâgne (ou classe de Première supérieure) constituant la deuxième année. Dans le jargon estudiantin, les élèves de ces classes sont les khâgneux ou cagneux.
[2] Mouvement culturel et artistique qui naît dans les années 80, pendant la transition démocratique espagnole.
[3] Valeria Luiselli, Guadalupe Nettel, Julián Herbert, César Silva, Daniel Espartaco etc.
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